L’expression de l’iL6-r par les plasmocytes influe-t-elle la réponse au traitement d’induction au cours du myélome multiple ?

L’expression de l’iL6-r par les plasmocytes influe-t-elle la réponse au traitement d’induction au cours du myélome multiple ?


Le Myélome Multiple (MM) est une hémopathie maligne qui se définit par une expansion plasmocytaire au niveau de la moelle osseuse dépassant 10% (1). La transformation tumorale est initiée au niveau des organes lymphoïdes périphériques, au cours du processus de réarrangement des gènes des immunoglobulines. Le plasmocyte malin migre vers la moelle osseuse où il trouve l’environnement favorable à sa prolifération au dépend des cellules normales de l’hématopoïèse. La synthèse d’une panoplie de cytokines par l’environnement médullaire et par les cellules plasmocytaires accompagne l’évolution de la maladie (2). Un des acteurs
essentiels dans la survie et la prolifération des plasmocytes malins est l’interleukine-6 (IL6) (3).L’objectif de notre travail est d’analyser l’expression du gène du récepteur de l’IL6 (IL6-r) par les plasmocytes malins au diagnostic et d’établir une corrélation avec les données clinicobiologiques ainsi que la réponse au traitement d’induction par Dexaméthasone-Thalidomide.

PATIENTS ET METHODES

Il s’agit d’une étude prospective qui a porté sur les échantillons médullaires de 47 patients ayant un MM, étudiés au diagnostic et de 16 témoins (donneurs sains de moelle osseuse). L’ensemble de nos patients ont reçu un traitement d’induction selon le protocole national Thalidomide-Dexaméthasone. Une évaluation est faite à la fin du traitement (3 mois), en appréciant la diminution du composant monoclonal sérique ou de l’excrétion urinaire des chaînes légères pour les cas de myélome à chaînes légères. Le type de réponse au traitement a été évalué selon les critères IMWG (international myeloma work group).
Quatre groupes différents ont été individualisés; « échec de réponse », « réponse partielle », « très bonne réponse partielle » et « réponse complète ».L’analyse des plasmocytes médullaires isolés et identifiés par cytométrie en flux a consisté en une séparation des cellules mononucléées, suivi d’un tri magnétique des plasmocytes, puis d’une extraction de l’ArN, rétro-transcription en ADNc (ADN complémentaire) et enfin une analyse de l’expression du gène IL-6r par PCr quantitative en temps réel et en utilisant la technologie Taqman. L’extraction de l’ArN total à partir des plasmocytes triés a été effectuée à l’aide du kit rNAeasy kit (Qiagen). La transcription inverse a été réalisée en rajoutant la transcriptase inverse Murine-Moloney leukemia vires reverse Transcriptase, Gibco BrL (MMLV) à 10 UI/μl, son tampon 1X,du DTT à 0,01M, des dNTP à 0,5mM et de la rNAse out (Invitrogen). La quantification des ArNm par la technique rTPCr en temps réel a été effectuée selon la technologie Taqman.
La quantité d’ArNm de chaque gène a été exprimée en unité arbitraire (UA) en calculant la valeur 2-ΔCT. Le gène de référence choisi a été rPLPO. L’amplification a été réalisée dans un thermocycler ABI PrISM 7700, en 40 cycles de 15 secondes de dénaturation à 95°C et d’une minute d’hybridation et d’extension à 60°C. L’analyse des résultats a été effectuée grâce au logiciel Séquence Detector V.1.6.3. Les amorces ont été fournies par les kits « TaqMan Gene expression Assays de Applied biosystems ».
Les tests statistiques ont été réalisés grâce aux logiciels SPSS et StatView. L’analyse comparative des niveaux d’expression du gène IL6-r entre le groupe des patients atteints de myélome multiple avant et après traitement et les donneurs sains a été réalisée par le test non paramétrique de Mann-Whitney. L’analyse comparative des pourcentages d’individus présentant une diminution de l’expression du gène IL6-r entre les différents sous-groupes identifiés a été réalisée par le test de Chi-deux. La corrélation entre l’expression quantitative et qualitative du gène IL6-r avec le degré de réponse au traitement a été analysée respectivement par le coefficient de corrélation de rang de Spearman et le test de Mann-Whitney.L’expression du gène IL6-r en fonction de la qualité de réponse au traitement a été analysée par le test de Fisher. La signification statistique a été attribuée aux valeurs de p inférieures à 0,05.

RESULTATS

Les caractéristiques épidémiologiques des groupes patients et témoins ainsi que les caractéristiques clinico-biologiques du myélome au diagnostic sont présentés (Tableau 1). Le tri plasmocytaire vérifié par cytométrie en flux (CMF) correspondant aux cellules double positives CD138 et CD38 a permis d’obtenir une pureté supérieure à 95% pour tous les échantillons obtenus. (Figure 1). L’amplification du gène IL-6r et du gène de référence rPLPO testée en condition Taqman a été d’efficacité optimale. L’écart des CT étant pour les deux gènes d’environ 3,3.

Tableau 1 : Caractéristiques épidémiologiques et clinico-biologiques :



Figure 1 : Analyse par CMF de la pureté des plasmocytes triés


L’analyse comparative de l’expression du gène IL6-r par rapport à celle des donneurs sains n’a pas montré de différence significative entre les deux groupes. (Médiane : 5,14 vs 5,35 ; p= 0.9) (Figure 2).

Figure 2 : Expression de l’IL6-R dans les plasmocytes malins et normaux.



En fixant le seuil d’une expression normale de l’IL-6r à la valeur du 5ème percentile obtenue dans le groupe des contrôles sains, on note que le profil d’expression du gène IL6-r est très hétérogène chez les patients. Il est en effet diminué chez 11 patients atteints de MM et normal ou augmenté chez les 36 autres. L’analyse comparative de l’expression du gène IL6-r selon le score ISS ( 1, 2 ou 3), le type de MM, la calcémie, l’albuminémie, le dosage de la béta 2 microglobuline ou la valeur du pic initial à l’EPP n’a pas montré de corrélation significative (Tableau 2). L’analyse des niveaux d’expression du gène IL6-r selon le degré d’envahissement de la moelle osseuse à une valeur seuil de 30% réalisée chez 34 patients, a révélé de façon intéressante qu’une infiltration de plus de 30% est significativement associée à un niveau faible d’expression du gène IL-6r (p = 0,04 )(Figure 3).

Figure 3 : Expression d’IL6-R selon le degré d’infiltration médullaire.


Tableau 2 : Corrélation Expression de l’IL6-r et caractéristiques du myélome



La réponse au traitement a été évaluée après 3 mois chez 36 patients, 7 parmi eux ont présenté une réponse complète.Plusieurs types d’analyses statistiques ont été réalisées afin d’étudier la présence d’une éventuelle corrélation entre l’expression du gène IL6-r et la réponse au traitement.
- L’analyse du profil de la réponse au traitement en fonction du niveau d’expression de l’IL6-r est présentée. (Tableau 3). Elle montre que l’hypoexpression de l’IL6-r est un facteur prédictif d’une bonne réponse au traitement (p = 0,006 ; intervalle de confiance = 95% [1,75-32,7]).

Tableau 3 : Analyse de l’expression de l’IL-6r en fonction de la réponse au traitement


- L’analyse comparant la présence d’une corrélation entre les niveaux d’expression du gène IL6-r et la réponse au traitement a démontré que celle-ci corrélait négativement avec le degré de réponse au traitement (p=0,02). Plus le niveau d’expression de l’IL6-r était bas, plus la réponse au traitement était élevée (Figure 4).


Figure 4 : Corrélation négative entre l’expression de l’IL6-R et le degré de réponse au traitement.


- L’analyse du degré de réponse au traitement chez les patients atteints de MM stratifiée selon une expression normale ou diminuée de l’IL6-r a montré que le degré de réponse au traitement est significativement plus élevé chez les patients présentant une hypoexpression de l’IL6-r (p = 0.02) (Figure 5).

Figure 5 : Corrélation entre l’expression de l’IL6-R et la réponse au traitement.


DISCUSSION

L’environnement médullaire en interaction avec les cellules plasmocytaires a une grande importance dans la biologie du myélome multiple. Du fait de ces interactions, de nombreux facteurs de croissance sont produits et impliqués dans la progression du clone tumoral (2).
L’IL-6 est la première et principale cytokine jouant le rôle d’un facteur de croissance dans le myélome. Elle est synthétisée par les cellules du microenvironnement : cellules stromales, ostéoclastes et ostéoblastes, mais également par les cellules plasmocytaires elles-mêmes. Elle interagit d’une façon autocrine et paracrine avec les plasmocytes malins via son récepteur et joue un rôle majeur dans l’activation, la prolifération et la survie des cellules néoplasiques (4). L’IL-6 est un puissant stimulant des plasmocytes tumoraux en culture (5). Aux stades avancés de la maladie, les taux d’IL-6 dans le sang sont augmentés (3). En dépit du rôle non discutable et inductible de l’IL-6 dans la physiopathologie du myélome multiple, les données rapportées par notre étude ne montrent pas de différence d’expression de l’IL6-r par les plasmocytes malins par rapport à celle des donneurs sains. Ces résultats corroborent avec ceux de Seon Young Kim et al (6) qui ont montré que la quantification par FISH de l’IL6-r était comparable à celle des sujets normaux chez 44.8% des patients atteints de myélome multiple au diagnostic. La transformation maligne des plasmocytes ne semble pas nécessiter une augmentation de l’expression de l’IL-6r. Ceci est en accord avec l’intérêt reconnu de l’IL-6 dans la survie et la prolifération de la population plasmocytaire qu’elle soit normale ou maligne.
Dans notre étude, l’expression du gène IL-6r diminue lorsque le taux de plasmocytes médullaires augmente, ceci peut être expliqué par le fait que son profil d’expression chez les patients atteints de myélome est soumis à une régulation autocrine.L’inhibition de l’expression du gène IL-6r résulterait d’une anomalie qui apparaîtrait secondairement durant l’évolution de la maladie. Celle-ci serait responsable de la progression de la maladie et ce, à l’instar des mutations évolutives (mutations de ras, par exemple) et qui s’associent aux stades agressifs de la maladie (7). Il est rapporté que les taux sériques d’IL-6 et d’IL- 6r sont des facteurs pronostiques du myélome multiple et sont le reflet de la fraction proliférante des cellules tumorales chez les patients (8-9). Il est intéressant de noter que chez certains des patients de cette série, l’expression du gène IL6-r est très augmentée. Cette augmentation a été déjà décrite comme un facteur de mauvais pronostique. Il semblerait que cette expression accrue pourrait favoriser l’échappement de la cellule tumorale aux thérapeutiques anti-tumorales. Seon Young Kim et al (6) ont montré que l’augmentation de l’IL6-r quantifiée par FISH chez les patients présentant un myélome multiple est un facteur pronostique déterminant dans la réponse au traitement par autogreffe. Barillé S et al (10) ont montré que les plasmocytes tumoraux expriment le récepteur de l’IL6 et que son expression augmente parallèlement avec l’évolution de la maladie. D’ailleurs dans notre travail, nous avons trouvé que les patients meilleurs répondeurs au traitement Dexaméthasone- Thalidomide correspondent à ceux qui présentent une hypoexpression du gène IL-6r au départ. Ceci suggère que l’augmentation de l’expression de l’IL-6r au diagnostic s’accompagne d’un échappement et d’une résistance au traitement Dexaméthasone-Thalidomide, et renforce l’intérêt de l’évaluation de l’expression de l’IL-6r dans la stratification pronostique des patients atteints de myélome multiple. Cette Stratification pourrait orienter le choix de thérapeutiques ciblées. Des stratégies visant à bloquer l’IL-6 ont été développées en utilisant soit des anticorps anti-IL-6 ou anti-IL- 6r soit un antagoniste de l’IL-6 (Sant7) (11).

CONCLUSION

L’expression du gène IL-6r parait déterminante dans l’évaluation de la qualité de réponse au traitement. Ainsi, L’analyse des mécanismes impliqués dans la régulation de l’expression de ce gène par les plasmocytes malins peut amener à une meilleure compréhension de la physiopathogénie de l’oncogénèse et des mécanismes de résistance au traitement et ouvrir des perspectives d’essais thérapeutiques ciblés.

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