Une tuméfaction cervicale d’allure inflammatoire
Un jeune homme de 26 ans se présente en consultation
de chirurgie maxillo-faciale pour prise en charge diagnostique
et thérapeutique d’une tuméfaction cervicale gauche
(fig. 1). Ce patient est né au Maroc le 4 octobre
1978. Il est étudiant à Marseille depuis deux ans. Sans
antécédent médico-chirurgical particulier, hormis un
ulcère duodénal guéri. En décembre 2003, il a présenté
des algies dentaires traitées médicalement. Fin février
2004, il a consulté pour un gonflement cervical gauche
apparu très progressivement en deux mois, modérément
douloureux, non rythmé par les repas, sans écoulement.
Le patient présentait un état général convenable, sans
amaigrissement ni signe fonctionnel mis à part des sueurs
nocturnes.
À l’inspection la peau en regard de la voussure était
rouge, tendue et d’allure inflammatoire. À la palpation, la
masse de 7 cm, oblongue, était située à mi-hauteur du
bord antérieur du muscle sterno-cléido-mastoïdien ; sa
consistance était élastique. La peau était chaude et la
tuméfaction était non adhérente aux plans superficiels et
profonds. La palpation était légèrement douloureuse. Il
n’y avait pas d’adénopathie cervicale palpable. À l’examen
stomatologique, l’ouverture buccale était normale,
l’hygiène dentaire faible et de nombreuses dents étaient
traitées. Le reste de l’examen était normal.
Le cliché panoramique dentaire (fig. 2), montrait une
34 incluse, une persistance de la racine de la 14 et une
carie de la 38. La radiographie du thorax et l’électrocardiogramme
étaient normaux. Un bilan biologique de première
intention montrait des globules blancs à 6,17 G/l
avec une formule normale, une hémoglobine à 14 g/dl,
une vitesse de sédimentation à 13 mm à la première
heure, une CRP modérément élevée à 8 mg/l. Un scanner
cervical sans puis avec injection montrait une masse de
7 cm de densité tissulaire en halo avec un centre hypodense
de nécrose (fig. 3a et b).
Figure 1 : Tuméfaction, d’allure inflammatoire, cervicale gauche.
Vue antérieure.
Figure 2 : Panoramique dentaire. Noter la 1re prémolaire gauche incluse
(34) et la carie sur la 3e molaire inférieure gauche (38).
Figure 3 : Scanner cervico-facial montrant
la tuméfaction hypodense d’allure nécrotique
en son centre. a) en coupe transversale.
b) en coupe coronale.
QUEL EST VOTRE DIAGNOSTIC ?
RÉPONSE
Compte tenu de l’ensemble du tableau, le diagnostic le
plus probable est celui d’une tuberculose ganglionnaire. À
ce stade, le bilan suivant a été demandé. Les sérologies
HIV 1 et 2, brucellose et toxoplasmose étaient normales.
Les sérologies CMV et EBV montraient une séroconversion
ancienne. Le typage lymphocytaire était normal et le
dosage des anticorps anti-nucléaires était négatif. L’examen
cytobactériologique des crachats était négatif. Par
contre, l’intradermoréaction à la tuberculine (10 ui) était
phlycténulaire (fig. 4). La cytoponction a ramené un
liquide lactescent, de substance mucoïde très riche en
polynucléaires altérés et en éléments histiocytaires. L’examen
direct montrait une absence de BAAR et la culture
est restée stérile, y compris sur milieu de culture des
mycobactéries. Cependant, la cytoponction n’apportant
pas le diagnostic de certitude, une cervicotomie latérale
gauche a été réalisée, sous anesthésie générale et en
semi-urgence à titre diagnostique et thérapeutique. L’incision
a été réalisée le long du bord antérieur du muscle
sterno-cléido-mastoïdien. On a procédé à la mise à plat de
l’abcès et à un lavage abondant à l’eau oxygénée et à la
povidone iodée. La paroi de l’abcès, adhérente à l’aponévrose
du muscle, a été réséquée. La fermeture a été effectuée
en deux plans après pose d’une lame de drainage.
Nous avons profité de l’anesthésie générale pour procéder
à l’avulsion de la 38, de la 35 incluse et de la racine de la
14. La pièce a été envoyée en bactériologie et en anatomopathologie.
L’analyse montrait un infiltrat inflammatoire
comportant de nombreux granulomes constitués de
cellules macrophagiques, épithélioïdes et géantes avec
d’importants remaniements nécrotiques centraux riches
en lymphocytes et neutrophiles, sans prolifération tumorale.
Le tout était compatible avec une myco-bactériose et
le diagnostic retenu a donc été celui de tuberculose. Le
patient, n’étant pas contagieux, est sorti du service à cinq
jours et il a été traité en externe par une polychimiothérapie
antituberculeuse pendant 9 mois. En anecdote, on
notera que l’abcès a doublé de volume en quelques jours
lors de la réalisation de l’intradermoréaction à la tuberculine.
Ce patient a été revu au terme des 9 mois de traitement
et il a été conclu à une guérison clinique de la
tuberculose.
Figure 4 : Intradermoréaction à la tuberculine phlycténulaire du patient
FACE À CE CAS CLINIQUE, QUELLES SONT
LES PRINCIPALES ORIENTATIONS
DIAGNOSTIQUES ?
Pathologie cervico-faciale et stomatologique
Un abcès dentaire
Diagnostic évoqué devant le mauvais état bucco-dentaire.
Cependant, aucune dent ne présentait de granulome apical
et il n’y avait plus de douleur dentaire.
Kyste congénital du cou (notamment un kyste branchial
de la deuxième fente)
Il est évoqué ici devant sa position latérale, longeant le
bord antérieur du sterno-cléido-mastoïdien dans sa hauteur
médiane et son terrain de survenue à savoir un
homme jeune sans antécédent. On note ici l’absence de
fistule cutanée. Le prélèvement cytologique et l’analyse
anatomopathologique écartent le diagnostic.
Une adénopathie de drainage d’un foyer infectieux
de proximité
Tégument de la face, cuir chevelu et muqueuses. Ici, le
bilan clinique était négatif.
Une adénopathie métastatique prévalente
On peut également évoquer une adénopathie métastatique
prévalente d’un cancer de la cavité buccale et des
voies aéro-digestives supérieures, infirmée par l’histologie.
Pathologie systémique
Une adénopathie infectieuse
Particulièrement le virus de l’immunodéficience humaine,
chez ce patient jeune, mais la sérologie HIV était négative.
Une sarcoïdose
Notamment devant l’aspect histologique. On note que le
typage lymphocytaire est normal et que l’intradermoréac-
tion est négativée dans le syndrome de Löfgren.
La tuberculose ganglionnaire
C’est la localisation la plus fréquente des atteintes extrapulmonaires
de la maladie [1]. Elle se rencontre lors d’une
réactivation endogène de mycobactéries, jusqu’alors maîtrisées
par le traitement adapté d’une infection primaire
antérieure. Les conditions de cette réactivation sont
diverses : baisse de l’immunité lors d’une hémopathie
maligne, infection à VIH, diabète sucré non équilibré, malnutrition
ou médicaments immunodépresseurs comme les
chimiothérapies ou les glucocorticoïdes. Le terrain de survenue
est particulièrement le sujet jeune et transplanté
géographiquement. Au niveau clinique, les sueurs nocturnes,
l’apyrexie et le fléchissement de l’état général sont
évocateurs de tuberculose [2]. L’évolution reste souvent
locale avec une évolution vers la fistulisation. L’adénopathie
est de consistance molle et fluctuante. Elle peut être
parfois pseudo-maligne avec une taille importante et une
adhérence à la peau et au plan profond. On recherchera
toujours la présence d’un chancre en bouche car la voie
d’inoculation est souvent bucco-pharyngée. Le diagnostic
reste difficile car la radiographie du poumon est le plus
souvent normale ainsi que les prélèvements bactériologiques.
Une ponction de l’adénopathie ne permet pas toujours
l’identification du bacille de Koch [3]. En revanche,
l’intradermoréaction est le plus souvent phlycténulaire.
Une radiographie cervicale peut être utile dans les formes
anciennes en montrant des calcifications très caractéristiques.
Le foyer initial ayant disparu, le patient n’est souvent
pas contagieux et peut sortir avec un traitement
ambulatoire de neuf mois au total, comprenant deux mois
de quadrithérapie (isoniazide, rifampicine, éthambutol,
pyrazinamide) puis une bithérapie de rifampicine/isoniazide.
Un bilan de dissémination de la maladie devra être
réalisé à la recherche d’une atteinte systémique notamment
osseuse, rénale, génitale, méningée ou surrénalienne,
d’autres atteintes ganglionnaires et pulmonaires
(pleurésie) [4]. On évoquera également les infections à
mycobactéries atypiques (plus fréquentes chez les séropositifs
VIH) qu’il faudra commencer à traiter comme une
tuberculose ganglionnaire.
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