Ostéonécrose des maxillaires chez des patients traités par bisphosphonates

Ostéonécrose des maxillaires chez
des patients traités par bisphosphonates


Summary

Bisphosphonates-related jaw osteonecrosis

Introduction The latest generations of bisphosphonates constitute

a major advance in the management of disorders including Paget’s

disease, osteoporosis, and osteolytic bone tumors. Recent reports

describe numerous cases of osteonecrosis of the jaw in patients

treated with bisphosphonates. Some of these reports mention

predisposing factors, including surgical procedures, chemotherapy,

and radiotherapy.

Cases In the past 12 months, we have observed and treated 9 cases

of maxillary osteonecrosis, which we present summarily.

Discussion Some of our cases (3 of 9), like many of those described

in literature, do not present predisposing factors. The osteonecrosis

may thus be due mainly to the effect of bisphosphonates that, by

blocking bone remodeling, may cause excessive bone

mineralization. If this hypothesis is confirmed, these cases of

osteonecrosis may be due to excess doses. Better dose adjustment

should thus help prevent this complication.


Résumé

Introduction Les bisphosphonates de dernières générations

constituent un progrès important dans la prise en charge de

certaines affections: maladie de Paget, ostéoporose et tumeurs

osseuses ostéolytiques. Plusieurs cas d’ostéonécrose des maxillaires

viennent d’être rapportés chez des patients sous bisphosphonates.

Des facteurs favorisants ont été évoqués: intervention chirurgicale,

chimiothérapie, radiothérapie, etc.

Observations En 12 mois, 9 cas d’ostéonécrose des maxillaires ont

été observés et traités; ils sont présentés de façon synoptique.

Discussion Comme dans la littérature, dans plusieurs des cas

rapportés (3 sur 9), on ne trouve aucun facteur favorisant. On peut

donc se demander si l’ostéonécrose ne serait pas principalement

due à l’effet des bisphosphonates qui, en bloquant le remodelage

osseux, entraînerait une minéralisation excessive de l’os. Si cette

hypothèse se confirmait, l’ostéonécrose résulterait d’un surdosage

et une meilleure adaptation de la posologie devrait permettre

d’éviter cette complication.

le traitement de la nécrose aseptique de la hanche10,

du syndrome Sapho4, etc. Ils contribuent à traiter les

symptômes liés à ces différentes affections et ils sont

souvent prescrits au long cours, surtout en carcinologie.

L’ostéonécrose des maxillaires, secondaire à la

prise de bisphosphonates, est une complication

décrite récemment dans la littérature11-17.

En 12 mois, 9 cas d’ostéonécrose ont été découverts

dans la division de stomatologie, de chirurgie orale et

radiologie dento-maxillo-faciale de la Faculté de Médecine

de Genève.

Observations

Le premier patient (cas n°1) avait une ostéonécrose

maxillaire, secondaire à la prise de bisphosphonates.

Venu consulter pour une infection d’origine dentaire,

le tableau clinique s’est avéré atypique et l’os alvéolaire

périradiculaire semblait nécrosé. Après extraction

des 2 dents causales qui étaient les seules dents

maxillaires restantes, l’évolution n’a pas été favorable

et on a observé une exposition osseuse s’étendant

progressivement. Elle a nécessité la réalisation d’une

maxillectomie subtotale; l’examen histopathologique

a confirmé le diagnostic d’ostéonécrose.

En 12 mois, 8 autres cas ont été observés.

Ces 9 patients étaient 3 hommes et 6 femmes dont

l’âge était compris entre 45 et 85 ans (âge moyen73 ans) (tableau 1). Les bisphosphonates ont été

prescrits pour le traitement des affections suivantes:

myélome multiple, cancer du sein, adénocarcinome

prostatique, ostéoporose. Dans ces 9 cas, on a observé

12 foyers d’ostéonécrose dont les localisations étaient

les suivantes : 7 atteintes mandibulaires (dont une

double localisation), 3 maxillaires et 1 bimaxillaire.

Cinq foyers d’ostéonécrose sont apparus après une

extraction dentaire, 1 après ablation d’implants dentaires

et 6 spontanément.

Cliniquement, l’atteinte osseuse ressemblait plus à

une ostéoradionécrose qu’à une ostéomyélite: exposition

osseuse, spontanée ou provoquée, le plus souvent

après extraction dentaire, sans aucune tendance

à guérir spontanément car le séquestre ne se détache

pas et l’atteinte osseuse semble s’étendre (figure 1).


Le bilan radiologique comporte systématiquement un

orthopantomogramme (figure 2), parfois un examen

tomodensitométrique (figure 3), une scintigraphie

osseuse (figure 4).

Dans chaque cas, l’examen histopathologique a

confirmé le diagnostic de nécrose osseuse; aucune

cellule tumorale n’a été observée (figure 5) lorsque

le traitement avait été prescrit pour une tumeur

maligne.

Dans tous les cas, on a réalisé une séquestrectomie

après une antibiothérapie (amoxicilline 750 mg 3xj-1

et métronidazole 250 mg 3xj-1) de 7 à 10 jours en

moyenne, temps nécessaire pour obtenir une cicatrisation

muqueuse suffisante.

Commentaires

Les bisphosphonates, molécules utilisées depuis les

années 1970, constituent un progrès thérapeutique

important pour le traitement de la maladie de Paget18,

de l’ostéoporose6,7 et des tumeurs osseuses ostéolytiques

8,9. Ils réduisent de façon importante (de 20 à

60 % selon les auteurs) la fréquence des manifestations

liées à l’atteinte osseuse, en diminuant les douleurs,

les fractures pathologiques, les compressions

radiculaires ou médullaires et les épisodes d’hypercalcémie

8. Leurs indications sont de plus en plus

vastes et on estime que 2,5 millions de patients ont

été traités par pamidronate et zolédronate depuis leur

mise sur le marché19.

La Food and Drug Administration (FDA) a donné l’autorisation

de mise sur le marché (AMM) au pamidronate

en 1994, pour le zolédronate en 2001; en France,

les AMM ont été obtenues quelques mois plus tard.

Les maxillaires semblent les seules structures

osseuses touchées; ceci pourrait s’expliquer par une

continuité de la muqueuse de recouvrement qui mettrait

en relation l’os avec le milieu septique de la

cavité buccale.

Le développement de l’ostéonécrose survenait après

un acte chirurgical, le plus souvent une extraction

dentaire, ou de façon apparemment spontanée. Le

traitement proposé dépend de la localisation des

lésions et de leur dimension.

Aucun cas n’a été traité par oxygénothérapie hyperbare

dont l’efficacité semble aléatoire14,16.

Les limites du séquestre sont difficiles à évaluer car

l’os “sain” périphérique apparaît très remanié et peu

vascularisé; si la séquestrectomie est insuffisante, l’exposition

osseuse persiste ou récidive. Sauf contre-indications

d’ordre général, il n’y a aucune raison de laisser

évoluer un foyer d’ostéonécrose.


Figure 1 Ostéonécrose dans la région maxillaire antérieure (cas n° 1) : exposition 
osseuse qui s’est étendue progressivement après l’extraction de deux dents restantes 
et ayant nécessité la réalisation d’une maxillectomie subtotale.



Figure 2 Orthopantomogramme (cas n° 2) : perte spontanée de la deuxième molaire 
inférieure avec exposition progressive de la table interne de la mandibule.



Figure 3 Examen tomodensitométrique (cas n° 3) : lyse osseuse dans la région 
de la première molaire supérieure droite 6 mois après l’extraction, accompagné 
d’une sinusite chronique homolatérale



Figure 4 Scintigraphie osseuse au Tc 99m (cas 1) montrant plusieurs 
foyers hypercaptants. Cet examen ne permet pas de différencier 
la nature des foyers : les foyers costaux font suspecter une origine 
tumorale, celui du maxillaire correspond à l’inflammation induite 
par l’ostéonécrose étendue ; cette inflammation touche même 
le sinus maxillaire gauche.



Figure 5 Séquestre osseux d’aspect caractéristique (cas n° 1) : les travées, à bords 
irréguliers, présentant un remaniement ostéoclasique sans ostéoclastes ; les logettes 
ostéocytaires sont vides et, par endroits, on observe des amas de germes.

La modification de la posologie des bisphosphonates

après l’apparition d’une ostéonécrose ne peut pas avoir

une incidence favorable immédiate sur l’évolution de la

lésion:en effet,les bisphosphonates absorbés n’ayant pas

été métabolisés, ils continuent à agir probablement

encore longtemps après l’arrêt du traitement; à titre

d’exemple, la demi-vie osseuse de l’alendronate varie

entre 1 à 10 ans selon le turn-over osseux20.

La physiopathologie de ces ostéonécroses n’est pas

totalement élucidée et plusieurs hypothèses sont évoquées.

Les bisphosphonates agissent sur les ostéoclastes

et provoquent une diminution du remodelage

osseux, donc une augmentation de la minéralisation

osseuse21 et, secondairement, une diminution de la

vascularisation osseuse comme dans toute affection

ostéo-condensante. L’effet anti-angiogénique, propre

aux aminobisphosphonates (principalement le zolédronate)

5, pourrait participer à la diminution de la

vascularisation. Les ostéonécroses sont donc très certainement

d’origine ischémique et, comme les bisphosphonates

ne sont pas métabolisés, le degré de

minéralisation et d’ischémie est sans doute en rapport

direct avec la dose cumulée.

D’autres facteurs, hormis ceux évoqués ci-dessus, ont

peut être un rôle pour expliquer la localisation exclusive

aux maxillaires. Dans les cas publiés, on trouve

peu de précisions sur les raisons qui ont motivé les

extractions dentaires qui, pour la plupart des auteurs,

auraient déclenché le processus d’ostéonécrose. Le

plus souvent, il semble plutôt s’agir d’un accident

infectieux ou inflammatoire, favorisé par l’ostéonécrose;

dans cette hypothèse, l’extraction dentaire révélerait

l’existence de l’ostéonécrose et elle n’en serait

donc pas la cause directe.

La présence d’une dent avec une atteinte

parodontale – ce qui signifie l’existence

d’une solution de continuité de la

muqueuse – favorise la contamination, à

partir de la flore buccale, de l’os en voie de

nécrose et cette contamination pourrait

même participer à l’apparition et l’extension

du processus de nécrose.

Comme dans la plupart des cas publiés,

le traitement comportait aussi une chimiothérapie

et/ou une radiothérapie ;

certains auteurs en ont déduit que les

bisphosphonates joueraient seulement le

rôle de co-facteur19. Cette hypothèse

étiopathogénique ne permet pas d’expliquer

les cas où on ne retrouve pas cette

association thérapeutique (par exemple,

le troisième et le huitième cas dans notre







série). Il semble que l’ostéonécrose résulte principalement

d’une augmentation excessive de la minéralisation

secondaire à une dose accumulée de bisphosphonates

trop importante. Il serait donc souhaitable

d’entreprendre des investigations complémentaires

pour préciser le mode d’action et la demivie

des bisphosphonates, afin de trouver la posologie

la mieux adaptée pour chaque patient et/ou

pour chaque affection. Enfin, tant que les mécanismes

physiopathologiques de cette ostéonécrose

ne seront pas mieux connus, on ne pourra pas

s’empêcher de faire un parallèle avec l’ostéonécrose

des maxillaires due à la toxicité du phosphore22.

En attendant ces précisions, avant de prescrire des bisphosphonates,

le patient doit être informé de cette complication

éventuelle et éliminer les facteurs favorisants

potentiels.Les interventions de chirurgie implantaire doivent

être également déconseillées aux sujets en cours de

traitement23 ou ayant été traités récemment. Une mise

en état de la denture (soins d’hygiène et élimination des

foyers infectieux bucco-dentaires, traitement des caries,

contrôle de l’adaptation des prothèses amovibles)

devrait être réalisée systématiquement afin de limiter les

interventions et les soins dentaires pendant le traitement.

Lorsqu’un foyer d’ostéonécrose est apparu, il

semble judicieux de procéder, sans trop tarder, à l’ablation

de l’os nécrosé. C’est la meilleure façon de supprimer

l’exposition osseuse car sa persistance favorise l’infection

et entraîne une augmentation probable de la

taille du séquestre.

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